Léon Tolstoï
Biographie : Léon Tolstoï naît le 28 août 1828 à Iasnaia Poliana, qui signifie "La clairière lumineuse" à environ deux cent kilomètres au sud de Moscou. Il y a plusieurs Tolstoï, selon les périodes de sa vie. Il n’a pas toujours été cette icône à la grande barbe blanche et au regard sévère que nombre de représentations véhiculent. Jeune russe que la nature dota généreusement et d’une considérable fortune et d’une farouche indépendance d’esprit, le petit Léon traverse avec ses frères une enfance heureuse à Iasnaïa Polyana, domaine familiale où il finit par passer la majeure partie de son existence. Puis c’est le départ vers les grandes villes, Moscou et Saint-Pétersbourg, où il vit une adolescence quelque peu débridée, entre études, jeux et femmes, avant de commencer à remettre en question tout son style de vie. À la recherche d’un idéal, il s’enfouit dans la littérature, puis dans les activités militaires qui le font passer de l’écriture intime à l’écriture romanesque et ancrent en lui un certain nombre de valeurs morales qui participeront à la construction de son autorité intellectuelle. [1] Tolstoï décide de rejoindre l'armée du Caucase. Cette expérience de cinq années de guerre restera gravée en lui : elle constituera une puissante source d'inspiration pour la réalisation de son oeuvre "Guerre et paix", et sera plus tard, l'une des causes de son engagement en faveur de la non-violence. F. Fröbel aussi a passé trois ans à faire la guerre contre Napoléon. Cette expérience l’a amené à se ressourcer près de la nature. Il revient chez lui après un séjour à Kazan, où il aura entamé sans suite, des études de langues orientales, puis de droit. Il a 19 ans, son père est mort dix ans auparavant déjà, et du partage des biens, lui revient le domaine. Il se lance dans sa gestion, mais se rend vite compte de l'ampleur et de la complexité de la tâche. D'où l'idée, déjà à cette époque, de fonder une école qui permette de pallier à l'ignorance des paysans (ils sont encore asservis et ne seront affranchis qu'en 1861). L'analphabétisme et le servage qui entravaient le développement économique de la Russie ont donné naissance à un mouvement de réforme éducative et sociale dans lequel s'est inscrite l'entreprise de Tolstoï, plus radicale et préfigurant l'Ecole nouvelle. Son activité pédagogique à proprement parler sera entrecoupée de deux voyages à l'étranger, en France, en Angleterre, en Allemagne, et en Suisse, avec pour but essentiel la visite d'écoles, la rencontre d'enseignants et la collecte de documents pédagogiques, ouvrages théoriques ou textes d'enfants. De retour du second voyage, il trouve son école dévastée à la suite d'une perquisition policière. Tolstoï est révolté, il proteste auprès du tsar, mais jamais l'expérience pédagogique de Iasnaia Poliana ne retrouvera plus tard l'ampleur de cette époque. Tolstoï n'oubliera et n'abandonnera pas. Il un caractère d'une sensibilité exacerbée qui le conduit souvent à adopter des positions très tranchées. Il en donne un exemple dans son roman autobiographique et introspectif "Enfance" : il est touché jusqu'aux larmes par la gentillesse de son premier précepteur, Fédor Ivanovitch, pour qui il dit être prêt à tout sacrifier, mais il frappe et refuse de s'excuser auprès du second, un précepteur français du nom de Saint-Jérôme. Le mariage, la vie de famille et la rédaction de ses grandes oeuvres "Guerre et paix" et "Anna Karénine" l'absorberont pendant de longues années, mais il prendra le temps de se consacrer à l'instruction de ses propres enfants, et accueillera régulièrement des enfants de paysans chez lui pour leur donner des leçons. Un ouvrage pédagogique. Sa femme et ses enfants l'aideront même, surtout lorsqu'il entreprendra de publier ce qui sera connu sous le nom de "syllabaire". Cet ouvrage composé de quatre volumes, présente une partie consacrée à l'apprentissage de la lecture, mais propose ensuite une compilation de récits de difficulté croissante, collectés dans le monde entier et retravaillés par Tolstoï lui-même, ainsi que des cours d'arithmétique et des instructions pour les maîtres. Il publie aussi par l'intermédiaire du journal Iasnaïa Poliana, un "Projet de plan général pour l'organisation des écoles populaires" - en réaction à une proposition gouvernementale. Il y aborde de nombreux aspects concrets, d'ordre administratif - budgets, locaux, gestion d'effectifs, inspection- , ou pédagogique -choix de contenus, emplois du temps, organisation matérielle des classes... L'année 1878 et celles qui suivent constitueront par ailleurs un tournant décisif dans la vie de Tolstoï. Il a atteint la cinquantaine et voit resurgir les questions qui l'avaient hanté pendant son adolescence : des questions sur le sens de la vie, la vie confrontée à la souffrance - il en a été le témoin récent dans certains quartiers misérables de Moscou - puis la vie inéluctablement confrontée à la mort. Écartelé entre un idéal de pureté et d'altruisme, et la réalité de sa vie de notable, dans une société dont les relations tant sociales qu'économiques se durcissent, il cherchera pourtant à vivre en accord avec ses convictions, et ce jusqu'à la toute fin de sa vie, où il quittera Iasnaïa Poliana, mais pour tomber malade et mourir dans une petite gare, celle d'Astapovo, le 7 novembre 1910 à l'âge de 82 ans. Il a eu une brève correspondance vers la fin de sa vie avec Mahatma Gandhi, qui s'est inspiré de sa démarche pour mettre en avant sa doctrine de « non-violence ». Vers la fin du xxe siècle, divers courants philosophiques se sont réclamés de l'héritage de Tolstoï, à partir de sa critique des Églises, du patriotisme et des injustices économiques. Sa réflexion chrétienne est toujours restée en marge des grandes Églises, et son génie littéraire est universellement reconnu. [1] Aucouturier Michel, Léon Tolstoï, La grande âme de la Russie, ed.gallimard Paru en septembre 2010 Biographie (poche) Ses idées pédagogiques Sa pédagogie ouverte et expérimentale dérivait de celle de Rousseau que sa mère lui avait fait découvrir. Il est très critique vis à vis de la pédagogique qu’il a dû subir et il n’a pas d’autre modèle. C’est pourquoi il a été découvrir à l’étranger d’autres façons de faire : Pestalozzi, Fröbel…. Il va faire une remise en cause de ses propres habitudes. La philosophie de Tolstoï peut être mise en relation avec son mysticisme marqué par le pacifisme. Elle reposait d'abord sur l'amour dont il a fait preuve à l'endroit des serfs paysans qu'il voulait libérer par l'alphabétisation Très attentif à la sensibilité de l’enfant, probablement par sa propose sensibilité, pour lui, la pédagogie ne doit pas exister dans le but de satisfaire le pédagogue, encore moins pour répondre à des intérêts d'ordre politique, économique ou religieux. Elle ne doit pas partir d'une théorie, mais s'appuyer sur l'observation, l'écoute attentive des besoins des enfants, et en particulier ceux des enfants de paysans. Ces enfants ont il est vrai, besoin d'être instruits, mais ils sont surtout porteurs d'une "vérité", d'une authenticité et d'une sagesse nourrie de leur rapport à la nature. "L'homme naît parfait. C'est le grand mot dit par Rousseau et cette parole restera vraie et ferme comme un roc." (Tolstoï, 1862, p.307) Comme Rousseau également, Tolstoï pense que "tout dégénère entre les mains de l'homme" De par nature, Tolstoï s'est toujours opposé à tout ce qui pouvait lui paraître formel, hypocrite, ou non-authentique. Il en est de la pédagogie comme des autres domaines de sa vie. C'est pourquoi, plutôt que de dépendre d'une théorie ou d'une méthode pré-établies, sa réflexion s'appuie avant tout sur l'expérience. Expérience qui tente d'ouvrir la voie d'une relation éducative basée sur le principe de liberté. Les enfants n'ont pas de leçons à apprendre chez eux, ils viennent à l'école sans livres ni cahiers, et s'installent dans la classe où ils veulent. Pas de récitations, d'interrogations individuelles, de notes, d'examens, même de classement. Ni récompense ni punition. Les programmes d'études ne sont qu'un tableau des matières offertes à la curiosité de l'écolier; il y choisit librement ce qui l'intéresse. L'adulte doit en quelque sorte s'effacer devant l'enfant, se mettre à son écoute et réfléchir à ce que sont ses besoins réels. Il doit partir du doute, et non de certitudes théoriques ou préétablies ; à tout moment il doit être prêt à remettre en question ses conceptions erronées Pour lui, la meilleure méthode est l'absence de toute méthode : c'est d'apprendre et d'employer toutes les méthodes et d'en inventer une nouvelle chaque fois que se présente une difficulté. (...) Chaque maître doit savoir que chaque nouvelle méthode inventée n'est qu'un degré sur lequel il faudra se placer pour aller plus loin" A l’école de Iasnaïa Poliana les élèves bénéficiaient de la liberté de venir en cours, d'écouter, de participer ou non, de partir à tout moment... d'où un certain "désordre" dans la classe, inconcevable au sein l'école de la république, nouvellement instituée. Cependant, d'après l'expérience que Tolstoï décrit dans la revue « Iasnaïa Poliana », peu à peu se met en place une organisation "naturelle", issue de la vie du groupe et de l'intérêt Tout comme Montessori Tolstoï croit à l'absence de toute sollicitation telle que la récompense, extérieure au besoin réel de l'enfant. Il sait aussi que de manière intuitive, les enfants ressentent ce qui est sincère, authentique, ou au contraire hypocrite ou surfait dans l'attitude des adultes Si la nature telle que l'enfant la manifeste est infiniment préférable à sa déformation par la société, elle ne saurait constituer en elle-même un idéal. Ses conceptions religieuses l'ont amené en effet à envisager, au-delà de la "nature animale", une "nature rationnelle ou divine" L'attitude critique de Tolstoï, l'a conduit néanmoins à se démarquer de Rousseau sur le plan de la relation pédagogique. Ce n'est pas par une mise en contact avec les choses qu'il pense finalement éduquer les enfants, surtout lorsque cette apparence de permissivité cache en fait une maîtrise totale du précepteur sur son élève. Fondamentalement pour Tolstoï, la relation éducative doit s'établir par un contact direct et profond, de vie à vie, contact sur la base duquel il est possible ensuite de construire la démarche pédagogique la plus appropriée. « Admettre sa faute est une bien meilleure éducation que faire cent fois honte à l’enfant et que se montrer infaillible. » 7 La force de Tolstoï est précisément d'avoir su prendre appui sur ces difficultés, pour rechercher le fondement d'une relation pédagogique "non-violente", et avancer sur la voie de l'établissement d'un rapport libre entre maître et élève. Cette liberté, il appartient avant tout à l'adulte de la cultiver pour lui-même, dans une recherche constante, afin de pouvoir réellement se mettre au service des enfants, plutôt qu'à celui d'une méthode, d'une technique, ou d'un objectif politique ou religieux. Bibliographie Le texte ci-dessus est inspiré de l’ouvrage de Filloux J.-C., Tolstoï pédagogue. Presses universitaires de France. (1996). De Tolstoï TOLSTOI, L. (1960) Enfance, adolescence, jeunesse (1852 à 1857) Paris, Gallimard, col Folio TOLSTOI, L. (1902) Oeuvres complètes, Articles pédagogiques et syllabaire : vol 13 : 1862 , vol 14 : 1875, vol 19 : récits populaires 1881-1886 Paris, Stock TOLSTOI, L. (1925) Mémoire à Boulgakof sur l'éducation Paris, Anvers, Ed Lumière Sur Tolstoï BAUDOUIN, C. (1923). Tolstoï éducateur . Paris, Neuchâtel. Niestlé et Delachaux. MAROGER, D. (1974). Les idées pédagogiques de Tolstoï. Lausanne. Editions L'Age de l'homme. Thèse présentée devant l'université de Paris IV, le 1er Juin 1972, Service de reproduction des thèses de l'université de Lille III, 1974 FILLOUX, JC. (1996). Tolstoï pédagogue . Paris. Presses Universitaires de France. |