L'ENFANT Il est heureux que nous puissions nous pencher sur l'enfant, le placer au centre de nos préoccupations, bien qu'un certain Janusz Korczak* ne dise pas "se pencher" mais bien plutôt "s'élever" ce qui résume bien le respect que nous devons avoir à l'égard de l'enfant. L'enfant est, en effet, un être fragile, parce que désarmé et, quand un être est désarmé, il est facile de le blesser ou de le dominer. C'est pourquoi notre part de responsabilité est grande quand on fréquente les enfants, que nous soyons parents, éducateurs, enseignants, animateurs. Il est plus difficile de parler de l'enfance parce que nous touchons au domaine du sacré. L'enfance rime avec confiance, innocence, l'enfance est porteuse d'Espérance donc d'avenir. L'enfant, c'est comme un matin qui se lève; avec lui, tout est possible. Vingt cinq paires d'yeux qui attendent dans le silence d'une classe, ce " bonjour " que nous échangeons avant de nous mettre au travail comme si la création du monde avait un goût de recommencement et donc d'avenir. En presque quarante années d'enseignement à l'Ecole Publique, les choses ont bien changé. Les choses, ce sont les outils bien sûr, le sac d'écolier qui a pris des allures de caddie, du crayon d'ardoise au feutre Velléda, du porte-plume à la souris que les enfants manient avec beaucoup d'aisance face à l'ordinateur, les barres de céréales, à la récréation du matin ou pour le goûter, ont remplacé les morceaux de pain beurré et leurs deux ou trois carrés de chocolat que les enfants laissaient fondre entre leurs doigts pour mieux les apprécier après avoir englouti le pain. Oui, en 40 ans, les choses ont changé mais aussi et surtout les modes de vie ont changé Moi, personnellement, je me suis interrogée avec une certaine inquiétude, ces dernières années, sur l'emploi du temps de la psychologue scolaire, de l'agenda du CMPP , sans parler des pédopsychiatres qui ne manquent pas, eux non plus, de clientèle. Ne parlons pas des cellules de crise que l'on s'empresse de mettre en place dès qu'un événement tragique survient. Il ne s'agit pas là d'y trouver une consolation pour vous et moi, bien entendu ! Pas question pour autant d'intenter un procès à notre société d'aujourd'hui car cette société, c'est nous tous qui la composons, qui la subissons ou qui la créons ou qui tentons d'aller à contre-courant. Oui, en quarante ans, les modes de vie ont changé; les parents ont changé. J'ai vu des parents soucieux d'organiser l'emploi du temps de leur enfant en introduisant des activités diverses, variées et nombreuses, angoissés à l'idée d'un échec scolaire et qui mettent très tôt la pression qui cherchent à gagner du temps au temps au lieu de donner du temps au temps comme si le temps était inutile : j'ai observé de plus en plus de passages anticipé ces dernières années. Le temps n'est plus gratuit, il est compté J'ai vu des parents démunis face à leurs difficultés de tous ordres, face à un monde implacable où "l'Avoir" semble vouloir dominer sur "l'Être" Nous sommes dans un monde de compétition, de compétitivité où un simple jeu, un challenge, un stage de poney nécessitent une remise de diplôme, de médaille. .. La gratuité, elle, n'est guère récompensée! !Dès la maternelle, on ne distribue plus d'image aux enfants sages mais aux enfants qui ont bien travaillé. La gratuité, les plages de temps libre, font cruellement défaut aux enfants d'aujourd'hui. Les rythmes de vie sont de plus en plus soutenus, la multiplicité des activités ou le temps passé devant l'écran me donnaient souvent le vertige. Quelle place donne-t ‘on au rêve, à l'imagination, à la créativité, au silence, à l'émerveillement ? En même temps, on voit des enfants plus ouverts sur le monde : Ils sont sensibles aux guerres, à la pollution, à l'injustice, Ils sont surinformés. Les ordinateurs ont envahi les maisons. Ils vont dans des musées, voir des expositions (une minorité, à dire vrai) Nous sommes confrontés à une société de surconsommation, de zapping. Et la télévision dicte nos comportements. Le monde, par les ordinateurs, tous les outils de communication, ce monde tendrait de + en + à se rapprocher de nous. Mais l'écran fait écran : il fait écran à la vraie relation, celle qui s'établit par la voix, par un échange de regards, en se rendant présent à une autre présence par la parole donnée et reçue. Il fait écran au silence...entre deux mots, entre deux paroles échangées. Il fait écran au partage; certes, la mondialisation peut ouvrir au partage mais à l'inverse, déclencher des peurs et accentuer l'individualisme. Que devient mon prochain ? Assistons-nous à une utopie de la fraternité ? Qu'est-ce que la société nous donne, leur donne à vivre en créant tant de besoins donc de frustrations, d'agitation, d'individualisme ? Que devient le désir de vivre, d'être heureux, ce désir qui sommeille en tout homme, le désir même de Dieu qui nous veut libres, responsables et heureux ? Le véritable enjeu, pour l'avenir des enfants, reste l'éducation, qu'elle émane des parents, des enseignants, des éducateurs. Eduquer un enfant, c'est l'élever à une plus grande dimension de l'intelligence de l'esprit et du cœur pour lui-même, pour l'entourage, pour le monde. Cela implique plusieurs exigences : -établir des règles de vie, des repères, des garde-fous, bref un cadre à l'intérieur duquel ils pourront gérer une vraie liberté et un possible " vivre ensemble " en famille, à l' école, dans le monde. -favoriser le dialogue, les échanges qui structurent, qui construisent une pensée On ne peut pas concevoir de grandir sans l'apport de l'autre, porteur de différence. Echanger, dialoguer, c'est s'ouvrir à la différence, c'est s'ouvrir à l'Universel. Il faut préférer la diversité à l'uniformité, c'est une manière de venir à la vérité, ou mieux de laisser la Vérité venir à nous. Il m'a paru important de travailler avec les enfants sur ces échanges, sources d'enrichissement, de respect, de tolérance. Ils favorisent le discernement, l'esprit critique. Les enfants doivent être capables d'interrogation, de questionnement. .. La connaissance de sa culture est très importante. Or, aujourd'hui, on assiste à une déliquescence des connaissances culturelles propres à chaque identité. On est dans le flou. Or, une ouverture aux différentes cultures ne peut qu'être féconde. La réussite de la mondialisation est à ce prix. L'amalgame crée la confusion et peut entraîner la violence; Il faut nécessairement un accompagnement mais la difficulté réside bien dans le respect du cheminement de chacun- -la troisième exigence, ce sont, bien sûr, les valeurs fondamentales qui en découlent et qui doivent guider notre action, valeurs humaines et universelles. Je veux parler de la justice, de la paix, de la fraternité. Il n'y a pas de dialogue sans paix, sans réconciliation. Il n 'y a pas de fraternité sans reconnaissance de la différence. C'est dans ce souci de solidarité, de fraternité que nous pouvons accéder à une dimension spirituelle. Entre les besoins que crée notre société et qui font apparaître une idée fausse du bonheur et le désir profond qu'à chaque être humain d'être heureux, l'essentiel est en nous et entre nous. Il dépasse notre entendement, et se révèle dans la relation, dans la tendresse d'un regard, dans l'amour qu'on se porte les uns aux autres. Il n 'y avait pas de journées écoulées sans qu'on ait : - écouté quelques vers de poésie ou qu'on les ait récités. Le langage symbolique est capital; - écouté de la musique - participé à des jeux qui construisent " l'être avec " - écouté le silence Il faut savoir créer des conditions, des situations où l'enfant va s'émerveiller, contempler des chefs d'œuvre de l'art, un coucher de soleil... Il faut savoir redonner de la valeur au temps gratuit, et ceci afin de redonner sens à l'existence, ce La classe n'est pas seulement un lieu de transmission du savoir. Elle est un lieu de vie, un lieu privilégié parce qu'elle se situe au carrefour de vies multiples, variées, unique pour chaque enfant. Elle est le terreau d'un possible "vivre ensemble" en classe, à la maison, dans une cour, dans notre monde, dans notre société d'aujourd'hui pour demain parce qu'elle rassemble des cultures différentes, des traditions différentes, des sensibilités différentes. Saisir cette chance d'enrichissement, par l'ouverture à la connaissance de ces cultures, de ces traditions offre un avenir de paix, de réconciliation. Nous sommes loin d'une simple définition de la laïcité ...car c'est une laïcité qui traverse des vies, qui les rassemble et qui nous tourne vers l'Universel. Marie-Noëlle Garreau Institutrice |