Conférence faite le 19 octobre 2012 aux journée des EJE. Organisé par EJE-Journal
« La pédagogie sous le signe de l’air » « Si certains d’entre vous se sentent étouffés dans leur travail, je viens vous proposer de prendre l’air. De souffler un peu. Je vais donc aborder la pédagogie d’une façon particulière, avec des termes qui je crois vont vous toucher. Puisqu’ils me touchent ! Je vous propose donc de laisser de côté les termes comme : projet, objectifs développement, autonomie, adaptation… moyens, organisation, structuration, évaluations, statistiques…
Là se structurent le contenant et l’ouverture vers l’extérieur. Des sentiments ou attitudes fondamentales meublent cet espace je vous en cite trois: -La confiance, confiance dans la vie, que tout enfant a et qu’il a comme une évidence, et confiance que l’adulte a lui aussi, pour son petit interlocuteur. C’est à la fois un sentiment confortable mais qui doit continuellement être alimenté. -L’attente sorte de suspense due à la fois à la frustration par la mère qui dit non, ensuite, quand l’enfant va grandir. Ce sera comme dit Jean Jacques Rousseau : « le dur joug de la nécessité » qui imposera à l’enfant non pas de vivre dans immédiateté mais il découvrira ainsi la valeur des choses et des gens. Dans l’attente il y a la possibilité d’anticiper donc d’être d’autant plus acteur -L’admiration qui passe entre la mère et l’enfant. Cet heureux étonnement devant le fait de le voir grandir ! Que l’on réalise lorsqu’on n’a pas vu un petit depuis un mois ou deux et ensuite celle que l’enfant va avoir pour le monde extérieur et que sa mère va partager avec lui. Ce fameux doigt qui sert à tous à montrer…il y a la chose découverte Cette admiration sera à la base de toute acquisition. Toute acquisition qui plus tard devra être associée au sens des responsabilités. Car pourquoi savoir, si ce n’est pour ensuite apporter sa participation. L’admiration prépare aux valeurs, à l’estime de ce que l’on est en train d’apprendre ! A une époque lointaine, chez les philosophes grecques les sentiments de beau, bien, juste et vrai, étaient associés à la connaissance… Dans cet espace relationnel, la pédagogie ou l’éducation va s’inspirer de la science du jardinier qui prépare et prend en considération l’environnement de la plante, connaît ses particularités, l’observe et ensuite accompagne sa croissance en intervenant et en n’intervenant pas…pour qu’elle grandisse et s’élève car elle a la dynamique intérieure pour se développer. Mais elle a besoin d’air pour élaborer des transformations, des métamorphoses, des échanges.
C'est-à-dire plutôt la condition de sa libération, libération de son ignorance, de son égocentrisme, Cette libération ne se termine pas vraiment Cette libération va se faire par plusieurs étapes : -Lorsqu'il dit : non ! il délimite son territoire, lorsqu'il dit pourquoi ?, il est à la recherche des origines. Lorsqu’il dit : c’est comme et…pas tout à fait il entre dans le monde de la nuance… Dans chaque situation il y a un espace ! Pour terminer le : et si…qui est la clé du jeu, la clé de l’invention…la clé du créateur… l’aléatoire…ouverture vers l’autre chose, avec l’imagination sans laquelle il n’y a pas de valeur car une valeur demande d'envisager autre chose que ce qu'il y a là ! Pour continuer avec l’espace je vous propose la situation dans laquelle nous sommes Que pouvons-nous constater ? Vous voyez l’espace aérien qu’il y a entre nous ? J’utilise la parole, celle-ci par de multiples vibrations va jusque vos facultés d’attention, par l’intermédiaire de vos sens … ou pas… Que devient ce que je vous dis ? Vous ne m’écoutez pas tous et heureusement, non seulement vous choisissez de m’écouter, vous choisissez ce que vous allez écouter et en plus il y autant d’interprétations de ce que je suis en train de dire que vous êtes ici, et plus tard si vous vous souvenez de ce que je vous ai dit, il y a de grandes chances pour que ce soit modifié. Je ne tiens rien, mon sujet m’échappe au fur et à mesure que je vous parle ! Vous êtes créateurs de ce que je suis en train de vous dire. L’air est un lieu de transformation ! Tout se transforme,
Si l’on pouvait voir ce qui se passe, si l’on pouvait savoir, Si on intervenait de façon complètement ajustée, si nous savions pour coller à la demande. Mais où serait alors sa liberté ? Son chemin propre? Heureusement que nous travaillons dans l’invisible ! Vous vous rendez compte si on voyait ce qui se passe dans la tête d’un enfant ? Où serait son espace de respiration ? Son espace de vie tout simplement. Nous ne sommes pas dans le copier-coller. Nous sommes dans l’insaisissable. Ce n’est pas facile d’accepter que le processus de la pédagogie soit invisible. On s’épuise à vouloir montrer l‘immatériel…, alors qu’on est dans l’invisible et dans la mobilité continuelle, dans la fluidité, dans l’aléatoire. Plus près de la haute voltige que du prêt à penser Et pourtant certains le voudraient bien.
On balise des résultats, on délimite des stades de développement, d’apprentissages atteints. Comment partager cet invisible ? Le partager avec les parents, les collègues, les pouvoirs publics ! je pense aussi aux injonctions auxquelles certains d’entre vous sont confrontés au travers de demandes de statistiques. Partager que ce qui peut l’être En plus dans cet espace insaisissable, il y a toujours un « autre part », un « autre chose » un au-delà dans le futur, dans le projet de l’enfant qui grandit, qui va grandir Un autre part que l’on ne domine pas, que l’on pressent, mais il ne nous appartient pas. Il y a un « autre part » commun à toute l’humanité. Qu’est ce qui nous reste ? La confiance ! Et l’humilité !
Elle va provoquer des actions bienfaitrices qui débloquent les situations pour permettre à l’air de circuler. La situation éducative est toujours en mouvement. Les situations bloquées sont douloureuses ! Par un ajustement constant, toujours en mouvement Ingénieuse qui nous vient qui fait sourire un enfant en colère. Elle provoque une rupture ! Une ouverture, une invention, qui nous libère tous les deux. C’est une réflexion qui va réorienter la situation vers un aboutissement positif. Ce n’est pas du chantage, ce n’est pas une menace, ce n’est pas de la séduction, elle ne le prend pas par surprise ou de la distraction, ce n’est pas un jeu… En fait c’est une petite phrase qui provoque un arrêt, un espace, une rapide évaluation de la situation nouvelle pour un changement, un mieux possible, une mise en appétit. Une façon de s’aérer et décoincer une situation de rapport de forces par une ouverture. C’est une proposition que l’enfant peut refuser. Mais il accepte. Je crois que c’est parce ce changement proposé lui laisse l’espace et qu’il peut y être acteur. De plus il réalise ainsi qu’une situation obstruée par un rapport de force, a toujours une porte de sortie. Cette petite phrase peut être la reconnaissance d’un tort que nous aurions eu. Un partage de sincérité. Se montrer, dans sa vulnérabilité déconnecte le rapport de force là et remet en route la confiance, et l’estime. Un voit quelque fois qu’un malentendu provoque des explications qui n'auraient pas eu lieu... Ce peut être un silence aussi, celui que nous faisons lors d’un échange avec un enfant, lorsque nous le laissons finir une phrase, ou celle d’un parent… L’humour : vis-à-vis de soi même ! Chargé d’électricité dans l’air dans le travail en équipe. Un proverbe enseigne plus qu’un long discours philosophique ou moralise ! Une autre petite phrase qui commence par « et si… » Ceci vaut aussi pour le matériel et la création de l’environnement de qualité que vous savez faire. Plus le matériel est simple, plus il permet à l’enfant de créer et de jouer, de prendre sa place en l’occurrence. Avec ses petits faits qui tombent juste la pédagogie n’est pas solennelle, Il y a quelque chose de beau, d’esthétique ! La pédagogie est LEGERE comme la gentillesse comme l’humilité C’est un acte élégant, harmonieux. Pas dans les grandes phrase, les explications qui n’en finissent pas, les termes élaborés… « Une phrase bien choisie vaut mieux que de longs discours » nous dit J.J Rousseau
Certaines situations nous coupent le souffle, et lorsqu’on dit à quelqu’un « tu me pompe l’air » C’est : tu me prends mon espace, tu m’empêche de vivre… Certains enfants ont peur de respirer. Des enfants retiennent l’air, on peur de perdre, de donner…de recevoir, de prendre… Inspire, Expire, prendre et donner : geste vital tout simplement et sur le plan physiologique et sur le plan mental. C’est l’échange essentiel. Celui où se passe une transformation au niveau du cœur. Le rythme de la vie. C’est le rythme, la régularité confortable, les alternances de la journée avec ses espaces de respiration entre les activités. Ces moments où l’enfant se repose…après un moment de concentration…ou d’activité intense. Cette régularité qui lui permet d’anticiper et d’être acteur. Lorsque je préparais un cours sur l’histoire de la profession je suis allée voir une ancienne créatrice de centre de formation. Juste avant de partir je lui demande à partir de quelle attitude savait-elle qu’une jeune fille était faite pour être éducatrice. « A la façon dont elle mouche un enfants » me répondit-elle. Sur le moment cela m’est apparu très trivial, accessoire. Kergomard disait au début de ses rapports « aérez les salles » Mais en y regardant bien que d’attention faut-il avoir pour accomplir ce geste. C’est du grand art ! « La science des petits détails » d’Emmi Pikler qui fait partie de tous ces gestes fondamentaux et vitaux qui sont la base de notre rôle. Apprendre à respirer ne relève pas des exercices de respiration que l’on fait quelque fois, qui sont intéressantes, mais je crois que cet apprentissage relève de moment de détente, de relaxation…des moments de silence…de sieste. Des moments de confiance… où l’on s’abandonne, en soi et en l’autre, pour que les enfants deviennent « Libre comme l’air », à leur rythme. Liberté et confiance vont ensemble ! C’est lorsque l’on prévient l’enfant, qu’on le met dans le coup des changements, il s’approprie le moment qui vient ! Et nous les professionnels? Qu’en est-il de l’air pour nous ? Dans quel espace pouvons-nous louvoyer Je crois qu’il se situe entre deux ou plusieurs tendances
Il n’y a pas de bons ou mauvais éducateur, il y a la vie que nous acceptons. Biblio : Gaston Bachelard ; « Air et les songes de, essai sur l’imagination du mouvement » ed. José Corti 1948 |