a la crèche...la transition pour le repas Douze enfants sont présents aujourd'hui. Toutes les professionnelles sont là : deux auxiliaires et deux titulaires du CAP petite enfance. Il est 11h30.
Les enfants jouent, seuls où par petits groupes. Deux professionnelles sont assises au sol au milieu des enfants. Une autre termine de changer la couche d'un enfant. La quatrième consulte la feuille de transmissions. Ne dérangez pas les enfants!....ça crie! Les enfants vont et viennent dans la pièce tout à leurs activités. Une grande quantité de jouets est éparpillée sur le sol. Alexandre, 2 ans et demie, vient de retourner un bac complet de jeu «Kaplas ». Maud, 3 ans, et Dylan, 2 ans et demie, se lancent dans une course poursuite à travers la pièce. Une adulte assise au sol se lève et dit aux autres adultes : « Bon, ben ! C’est l'heure du repas, on va y aller » puis à tous les enfants à voix haute : « c'est l'heure d'aller manger, on va aller se laver les mains ! Allez on y va ». Pierre, 2 ans et demi, quitte immédiatement sa construction, se lève et saute devant elle. Alexandre se lève également et s'approche d'elle calmement. Les autres enfants continuent leur jeu. Une autre adulte se lève et dit : « bon allez, on y va maintenant, on arrête de jouer ! ». Elle se place devant la porte la main sur la poignée. Pierre et Alexandre se placent à coté d'elle calmement. Une autre adulte tape dans les mains et dit : « allez, allez, on y va ! Maud passe en courant à côté d'elle, elle l'attrape en passant et lui dit calmement : « maintenant Maud, il faut te calmer, on va manger ». Maud repart en courant et en criant. L'adulte rattrape la petite fille et lui dit d'un ton plus ferme : « maintenant ça suffit, on a dit que c'était l'heure d'aller manger ». Elle prend la main de la petite et l'accompagne jusqu'à la porte. Quelques enfants observent la scène puis reprennent leur jeu. Pierre est reparti jouer. La bagarre et la bousculade L'adulte appelle les enfants par leur prénom : « Solenn, Dylan, Jean Baptiste... on y va ! » Une autre adulte parcourt la pièce pour ramener les enfants qui ne viennent pas. C'est la bousculade devant la porte fermée. Maud tombe par terre et pleure. L'adulte visiblement excédé sort le « pousseur » du groupe et l'assied dans un coin. L'adulte ouvre la porte et les enfants sortent en courant dans tous les sens. Nylan, 2 ans, chevauche une petite moto laissée dans le couloir. Les adultes crient : « ne courez pas ! ». Les enfants rentrent dans la salle de repas : 2 tables « haricot » au centre de la pièce, une desserte le long du mur. Maud et Sophie se disputent une place à table. L'adulte les sépare et leur demande d'aller s'asseoir sur le sol en attendant leur tour pour laver leurs mains. La bagarre continue une fois assises. Nylan et Louis se balancent en riant et bousculent Pierre qui se met à pleurer. Une fois les mains lavées, les enfants choisissent leur place à table et de nouvelles disputes éclatent. Finalement les adultes placent les enfants. Un repas perturbé... Pendant le repas, un adulte est assis devant la desserte, tournant le dos aux enfants. Elle prépare les assiettes en remplissant les compartiments. Les trois autres adultes circulent entre les tables, servant l'eau, le pain, apportant les assiettes tout en parlant entre elles. Les enfants sont agités, se disputent l'espace, les couverts, se poussent, se lèvent, crient, pleurent. Ils sont grondés, rassis. A la fin du repas, les adultes retirent les assiettes donnent les gants humides. Les enfants se débarbouillent seuls et se lèvent. Ils se pressent de plus en plus nombreux contre la porte, se bousculant et criant. L'adulte ouvre la porte et les enfants sortent en courant. Quelques réflexions... Il est sans doute important de noter que l'ensemble de la journée se déroule de cette manière c'est à dire que les moments repères qui permettent de rythmer la journée de l'enfant à la crèche et lui donner un cadre sécurisant sont inexistants. J'observe que les enfants jouent tranquillement accompagnés d'adultes disponibles et à l'écoute de leurs besoins. Les professionnelles sont calmes, mesurées et non directives sur ces moments de jeu. Puis soudain, il n'est plus question de jouer, l'enfant doit arrêter son jeu, son activité, son expérimentation, ses découvertes. En un instant, il doit comprendre qu'il est temps de passer à autre chose parce que c'est l'adulte qui le dit, parce que « c'est l'heure ». Ainsi, j'observe que, sans en rien comprendre, l'enfant est sollicité pour rejoindre le groupe plus ou moins rapidement selon les jours et le « retard qu'on aura pris », après avoir rangé la salle... ou non... Pas de repères pour les enfants On passe du jeu au repas sans transition, sans prendre le temps de préparer l'enfant, sans lui permettre d'être acteur dans ce changement. Alors, les enfants qui n'ont pas compris, ou qui n'ont pas été préparés au changement d'activité, n'adoptent pas l'attitude attendue par l'adulte. La tension monte, les enfants continuent leurs jeux ou bien s'agitent, se disputent. Les interdictions des adultes se font plus nombreuses. On attrape un enfant par ci pour le mettre là, on tente de canaliser le groupe : tous ensemble au même endroit au même moment. Puis la porte s'ouvre... Les adultes sont fatigués, les enfants infernaux! Lors des réunions, l'équipe décrit les enfants de son unité comme des enfants « remuants, brouillons, uniquement dans la motricité, qui ne se posent pas ». Elle dit que « c'est un groupe difficile, impossible à canaliser, à gérer »... Que faire? Il convient de replacer l'enfant au centre de notre questionnement et en cela je rejoins un point important de la pensée d'Emmi Pikler : partir de l'enfant, de l'observation de l'enfant. Que nous dit l'enfant dans son agitation soudaine, dans ses débordements inattendus, dans son agressivité envers ses pairs ? N'est-ce pas là, la mise en place de mécanismes de défense face à une insécurité trop grande générée par un enchaînement d'actions que l'enfant ne peut prévoir ? De même, je mesure combien l'enfant est « objet » : transporté, déplacé, puis replacé, assis, nourri. Quelle conception a-t-on de l'enfant ? Quelle possibilité a-t-il d'être « sujet », de participer, d'agir, de prendre des initiatives ? |
deux poins essentiels |
Je dégage donc deux points essentiels de mes questionnements.
Comment organiser un moment de transition qui permette à l'enfant de se sentir sécurisé et qui s'inscrive dans une continuité de prise en charge ? Comment permettre à l'enfant de se sentir acteur de sa vie à la crèche en respectant son individualité tout en le valorisant dans son inscription au sein d'un collectif ? |
Emmi Pikler et la resolution du probleme |
Emmi Pikler vient à notre secours
Dans sa pédagogie il s'agit d'organisation du cadre de vie, organisation des temps de vie, chacun a une place, réflexion méthodologique et définitivement: qualité des relations adultes-enfants basées sur la reconnaissance et la prise en compte des compétences de l'enfant. L'accompagnement d'un enfant dans un changement d'activité ou au cours d'un repas fait partie intégrante du soin. Il faut une bonne organisation qui permette à la professionnelle d'être disponible pour l'enfant. De cette organisation dépend la qualité de la relation qui va s'établir entre l'enfant et la professionnelle et donc du bien-être de l'enfant accueilli. Il faut donc repenser l'organisation de ce moment repas ainsi que le positionnement des adultes pour que l'enfant se sente dans une continuité de soin et se sente respecté et valorisé dans ces compétences. Je rejoins à nouveau Emmi Pikler lorsqu'elle dit l'importance de soutenir les professionnelles, de les aider à penser leur travail tout en s'ajustant à là ou elles en sont dans leur cheminement professionnel. Il faut alors sans doute une certaine proximité. C'est donc dans cette dynamique de travail en équipe que le « projet repas de la section des grands-crèche » est né. Echangeons avec les intéressées Lors d'un échange avec une auxiliaire sur l'organisation générale de la crèche, celle-ci me confie son découragement face à l'agitation dans le groupe d'enfants. Nous évoquons l'intérêt de diviser le groupe en petits groupes permettant à l'adulte d'être plus disponible pour les enfants dont elle s'occupe particulièrement. Le moment du repas est pris en exemple par la professionnelle. Je profite de cette occasion pour partager avec elle certaines de mes observations et lui faire part de mes questionnements et de mon analyse. Des projets se mettent en place Elle écoute attentivement puis me fait part de son envie de changer l'aménagement de la salle de repas. Elle souhaite la diviser en deux à l'aide de la desserte, une table de chaque côté. Je salue son idée et apporte quelques éléments relevant de mes compétences de future EJE. Je mets en avant que le petit groupe favorise une prise en charge plus individualisée, une disponibilité plus grande pour les enfants de la part des professionnelles qui deviennent « référentes » d'un groupe d'enfants. Je mets l'accent sur l'importance, dans cette configuration d'espace, de se « poser » avec les enfants et d'éviter les allées et venues, sources d'agitation. Nous évoquons alors le moment qui précède le repas et je lui indique qu'il paraît essentiel de prévenir les enfants en mettant en place un temps de transition qui soit un repère pour eux. Cet échange a été l'occasion pour moi d'apporter des éléments importants pour l'enfant : qu'il se sente à la fois sécurisé par une organisation claire, qu'il sente qu'il a sa place d'individu unique dans ce collectif, toujours la même place, qu'il puisse participer activement au repas et enfin qu'il se sente utile et donc valorisé pour ce qu'il produit pour le collectif auquel il appartient. Nous avons souhaité une organisation fiable et repérable pour l'enfant qui réponde à son besoin d'anticipation. Cette organisation qui peut paraître stricte et rigide est à mon avis plus une organisation exigeante qui garantie un cadre sécurisant pour l'enfant et qui permet à la professionnelle d'être plus disponible pour lui sans avoir à gérer des problèmes liés à l'organisation. Cette vision des choses fait écho à l'importance donnée à l'organisation dans la pédagogie d'Emmi Pikler et à celle de l'ordre dans la pédagogie de Maria Montessori. En équipe, soignons la transition Nous avons souhaité que la transition entre le temps de jeu et le temps du repas se fasse en douceur, en respectant le rythme de chaque enfant. Nous avons initié un moment de lecture à voix haute suivi d'un moment de chant en laissant progressivement les enfants venir rejoindre le groupe. La plupart des enfants viennent s'asseoir rapidement dès le début de la lecture, d'autres restent en retrait avec un jouet mais j'observe qu'ils sont avec nous sans pour autant être dans le groupe : Pierre est à l'écart du groupe, il termine une construction. Je suis en train de lire « La grenouille a grande bouche. » Soudain je l'entends dire à l'autre bout de la pièce : «la grenouille elle mange des mouches ! ». Après ce temps calme, une professionnelle explique aux enfants ce qui va suivre. Deux enfants partent préparer la salle de repas avec une professionnelle pendant que les autres, à tour de rôle, se lavent les mains dans la section. Louis, 2 ans et demi et Maud, 3 ans, partent joyeusement avec Marie pour mettre la table. Ils lavent leurs mains au lavabo double dans la salle de repas pendant que Marie dispose les petites étiquettes des "prénoms-gommettes" toujours à la même place suivant un plan de table affiché dans la salle. Les enfants se dirigent vers le bac de vaisselle et dispose les assiettes sur la table ou ils ont l'habitude de manger. Marie veille à ce que les enfants ne se trouvent pas en difficulté. Elle nomme les enfants qui seront présents à chaque table. Une fois la table mise, le petit groupe retourne dans la section. Maud annonce fièrement: « ça y est, c'est prêt ! ». Le petit groupe se dirige tranquillement vers la salle de repas. Chacun prend place, sa place. L'enfant sait qu'il à une place qui reste inchangée Une adulte prend place à chaque table, en face des enfants. Elle a ainsi accès à tout le matériel nécessaire au repas des enfants en restant assise, proche et disponible pour les enfants. Si le nombre d'adultes est supérieur à deux, ces adultes se positionnent de manière judicieuse auprès des enfants dont ils sentent un besoin d'accompagnement plus important. Durant tout le repas, chaque table fonctionne de manière indépendante et l'adulte respecte le rythme qu'il pense être celui des enfants qu'il accompagne. L'adulte nomme les plats et invite les enfants à se servir seul, ou a servir les autres. Les différents échanges entre enfants sont respectés et encouragés. L'adulte veille à ne pas presser les enfants. Elle semble elle-même plus détendue dans cette organisation et j'observe qu'elle change son mode de communication, les interdictions sont moins nombreuses et les échanges sont naturels, un vrai dialogue s'installe entre elle et les enfants. J'attribue ces bienfaits au fait que l'adulte n'est pas accaparée par le souci de l'organisation du repas : « ...ce temps de soin est un temps de lien...les enfants sont nourris non seulement par les éléments qu'ils trouvent dans l'assiette, mais par l'attention et l'intérêt qui leur sont portés, gages de sécurité et fondement de l'estime de soi ». Les enfants participent au débarrassage avec plaisir. Chacun apprend en douceur à faire en présence de l'autre puis avec l'autre. Cette organisation permet une prise de repères sécurisante pour l'enfant. Elle le responsabilise dans une action phare de la journée et lui donne une place en tant qu'individu dans un collectif. Elle valorise l'enfant dans ses capacités et ses compétences. Elle le fait « acteur » de sa vie à la crèche. Bibliographie: M David, G Appell, Loczy ou le maternage insolite, Eres, 2008. [2]R.Caffari-Viallon, P.Jaquet-Travaglini, J. Baeriswyl Mais qu'est-ce qu'elles disent ? Étude du langage adressé aux enfants dans une collectivité. Aude Lénik Etudiante-EJE 3ème année Année 2012-2013. Institut Parmentier |