le transvasement chez les petits: une observation
La situation se déroule dans la salle de bain. J'ai installé un drap au sol et disposé des petites bassines remplies de sable. A côté j’ai disposé des pelles, des petites bouteilles de lait vides, des cuillères et des bouchons. Volontairement, j’ai fait en sorte que chaque enfant ait le même matériel à sa disposition. Puis j’ai déposé au milieu du drap un bac rempli d'autres ustensiles dont ils pourront se servir librement. Les quatre enfants qui m’interpellent pour venir faire cette activité s’installent au sol face aux bassines. Il y a Yanis, Yassine, Luna âgés de 36 mois et Nélia, 24 mois. Nélia prend la bouteille de lait opaque et la plonge dans le sable pour la remplir, lorsqu'elle renverse le sable et le voit ressortir de la bouteille elle dit : « Coucou ! ». Luna utilise la petite cuillère pour remplir la bouteille et prend soin de ralentir le mouvement lors de l'entrée du sable afin de ne pas en faire tomber à côté. Lorsque le sable tombe un peu elle dit « Mince c'est tombé ». Yassine et Yanis remplissent les bouteilles avec leur main. Yassine fait « pssssss » lorsqu'il renverse le sable de la bouteille puis il rit. Yanis le regarde, rit puis reprend le bouchon qu'il remplit de sable. Il le retourne et me dit « Regarde Mélanie c'est les vacances j'ai fait un château de sable. » Nélia est une petite fille qui vit la séparation avec sa maman très difficilement. Elle marque la séparation par des pleurs et a besoin de longs moments pour se calmer dans les bras de l'adulte et enfin se lancer dans le jeu. En observant sa façon de se servir de la matière qu'elle met dans la bouteille puis ressort en disant « coucou ! », cela me renvoie à la séparation qu'elle peut vivre avec sa maman. Le fait de répéter ce mouvement à plusieurs reprises est une manière pour Nélia de se rassurer et de comprendre que sa maman va revenir. Pour ce qui est de Luna, 36 mois, elle transvase très délicatement le sable en veillant à ne pas en renverser hors de la bouteille. Sa manière de transvaser est très minutieuse, l'activité semble jouer un rôle dans sa motricité fine et l'aide dans la précision de ses gestes avec ses mains, ses poignets et ses doigts. Lorsque Yassine, 36 mois, dit « psssss » il ne met pas de mot sur le son qu'il produit mais étant en pleine acquisition de la propreté, ce son signifie probablement le bruit qui définit « le pipi ». Ici, je peux émettre l’hypothèse que le jeu de transvasement joue un rôle dans son acquisition de la propreté. Du côté de Yanis, 36 mois, le transvasement lui permet de préciser sa motricité fine en remplissant le bouchon mais aussi de se projeter vers un souvenir qu'il a pu vivre, le sable représentant, pour lui, les vacances qui rappellent la plage et les châteaux de sable. C’est aussi une manière pour l’enfant de se rassurer en se projetant dans des souvenirs qui lui rappelle probablement le cadre familial. J’ai observé que pour certains enfants, la position assise les limitait dans leur mouvement particulièrement au niveau du bassin ce qui les empêchait de se déplacer facilement pour atteindre les objets. J'ai alors proposé à l'équipe de disposer les bassines sur une table afin que les enfants transvasent debout et soient plus libres dans leurs gestes. Enfin, j'ai aussi proposé de colorer du riz avec du colorant alimentaire et de s'en servir comme matière à transvaser. Ainsi l'enfant pourra exploiter une nouvelle matière : le riz coloré en rouge, en bleu, du riz jaune et la dernière bassine composée des trois couleurs mélangées. Je propose cette activité à quatre enfants. Shana et Ayoub, qui sont âgés de 24 mois, Divine et Sue qui sont âgés de 34 mois. Ils arrivent en sautillant. Lorsqu'ils voient les bassines remplies de riz colorés, ils me disent : « C'est beau, c'est quoi ? »- « c'est du riz que j'ai coloré ». Ils s'installent tous face à la bassine qu’ils ont choisi puis commencent à transvaser. Divine remue le riz dans sa bassine et me regarde « Mélanie !je fais « le mafé », le riz je le mélange comme maman ! ». Ayoub intervient il prend la petite bouteille d'eau qu'il a remplie de riz et la renverse au-dessus de la bassine de. De son côté, Shana remplie une bouteille de lait opaque, à l'aide de la pelle, et le renverse dans la bassine. Elle répète se geste à plusieurs reprises puis me dit « C'est maman qui vient me chercher ce soir ». Sue prend la bouteille en plastique et utilise la pelle pour la remplir elle répète ce geste à plusieurs prises. L’air étonné, elle fronce les sourcils en regardant la majorité du riz tomber à côté de la bouteille. Elle pose la pelle puis prend la petite cuillère à sa disposition. Elle verse le riz à l'aide de la cuillère dans la bouteille et sourit. Divine, 34 mois, est une petite fille d'origine Africaine. La façon dont elle manipule le riz est culturelle. En effet, « le mafé » est un plat africain. Jouer avec le riz la projette dans le souvenir de sa maman qui cuisine. C'est en observant Divine que Ayoub, 24 mois, rentre également dans un jeu d'imitation, il se sert de la bouteille qu'il a remplie de riz pour faire comme s’il en sortait du sel pour le plat. Cela permet une interaction et une socialisation entre les enfants. Pour ce qui est de Sue, 34 mois, la répétition du geste lui permet d'analyser la différence de poids, de forme et d'usage des ustensiles à sa disposition pour enfin choisir celui qui lui permettra au mieux de transvaser le riz dans la bouteille. Du côté de Shana, 24 mois, elle utilise la bouteille de lait opaque pour y transvaser le riz, ce qui lui permet de le faire disparaître puis de le vider pour le faire réapparaître. La répétition du geste permet à Shana de se rassurer sur le fait que même si on ne voit plus le riz dans la bouteille, la matière continue d'exister, ce qu’on peut lier à la séparation avec ses parents qui sont partis et qu'elle ne voit plus à ce moment, mais qui continuent quand même à exister et à l'aimer. Après avoir mis en place les jeux de transvasement sur différents supports, au sol ou sur table, avec différentes matières, sable, semoule ou riz coloré, j’ai proposé l'entonnoir auquel j'ai ajouté des verres en plastique résistant. J'ai remarqué que cet objet demande à l'enfant de se concentrer pour tenir d'une main l'entonnoir de manière à garder la petite bouteille en plastique droite, puis de tenir le récipient où la matière est disposée afin de pouvoir la verser dans la bouteille en plastique. Les « plus grands » sont très attirés par cet objet, ils se concentrent et recommencent jusqu'à ce qu'ils arrivent à verser un peu de matière dans la bouteille. Pour les enfants âgés de 18 mois à 24 mois, j’ai observé qu’ils explorent l'objet en essayant de le remplir en le plongeant dans la matière mais ne l'utilisent pas pour transvaser dans la bouteille. Ces observations démontrent une fois de plus, que selon les âges ou les « périodes sensibles » dans lesquelles les enfants se situent, les jeux de transvasement n'ont pas le même impact. Ici, pour les « plus grands », l'entonnoir leur permet de se concentrer à tenir deux objets à la fois en liant le sens du toucher et de la vue. De plus j’ai constaté que les verres en plastiques résistants permettent aux enfants d’y verser la matière qu'ils ont mise dans la bouteille en plastique. Leur autonomie est donc favorisée en apprenant à se servir soi-même. Ces observations m’ont permis par la suite d’exploiter cette activité avec les « plus grands » en proposant un plateau où étaient disposés une petite carafe remplie d’eau et un verre en plastique résistant. Cette pratique pédagogique étant inspirée de ce que Maria Montessori avait mis en place pour les jeux de transvasement. Les enfants semblaient prendre plaisir à verser l’eau dans le verre et à la remettre dans la carafe pour recommencer à se servir par eux-même. J’observais que la répétition de leurs gestes, pendant cette activité, leur permettaient de préciser leur geste par la façon dont il verser l’eau. J’ai également eu la satisfaction de pouvoir partager mes observations avec l’équipe lors d’une réunion, ce qui a permis aux professionnelles de porter un nouveau regard sur ces activités en prenant compte de l’impact qu’elles avaient dans le développement de l’enfant. Elles ont souhaité, par la suite, participer à ces activités en dépassant leur réticence à devoir nettoyer et balayer la matière qui s’éparpille partout.
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