conférence sur l'histoire de l'education
- LES PÉDAGOGUES DANS L’HISTOIRE, entre invention et continuité.
Le 16 novembre 2017
Nous sommes à la rencontre de plusieurs histoires,
- la vôtre, celle qui fait que vous êtes là aujourd’hui,
- la mienne dont je vais vous parler tout à l’heure
- et la grande histoire, celle des courants de pensée qui influencent la pédagogie, la création des institutions et les pédagogues.
Quelles données de la grande histoire et qui influencent la pédagogie ?
- L'idée de l'avenir doit-il reproduire le passé ou doit-il évoluer? Est-ce pour une société traditionnelle ou une société moderne ?
- Les idéologies, c’est-à-dire une idée "l'homme parfait". Par exemple: chez les hébreux c'est l'homme vertueux, chez les athéniens c'est l'harmonie de la perfection morale et physique, chez les romains c'est le soldat vaillant docile à la discipline, chez les Gaulois aussi. Actuellement c’est le citoyen.
- La religion.
- La philosophie qui avec son étude de la pensée de l'homme, va donner des pistes de recherche. Socrate, Platon, Aristote, les ancêtres grecs, mais aussi Kant avec son penser par soi-même et évidemment J. J. Rousseau sont des philosophes qui ont influencé les courants éducatifs. Les notions abordées comme la liberté, la morale, le respect de soi et des autres sont repris en éducation.
- La politique qui par ses idées sur ce que doit être une société, dicte pour quel futur on doit élever l'enfant, ce qu'il y a à enseigner et qui doit-on enseigner. Par exemple l'intérêt de Louis XIV pour l'école de Mme de Maintenon venait du fait qu'elle allait éduquer les jeunes filles de la noblesse pauvre sur laquelle le roi comptait s'appuyer.
Actuellement je suis frappée par l’utilité politique de l’éducation qui doit adapter les enfants à la société.
- Les évènements historiques tels que les guerres ont soit gêné l'éducation, soit au contraire l'ont provoquée car il fallait en l'occurrence s'occuper des orphelins. La création de minorités qui pour se défendre, investissent dans l'éducation, par exemple les frères moraves et les protestants. Les lois dites de Jules Ferry avaient pour but entre autre de fonder la nation et lutter contre l’envahisseur : j’ai vu au Musée de l’éducation à Rouen des photos avec les enfants s’entrainnant avec des fusils en bois.
- L’organisation de la société: la conception de la famille et son importance dans l'éducation de l'enfant, sa place par rapport à l'école. La place de la femme dans la société, et celle de l’enfant et la représentation qu’on en a. La notion de personne est très liée aux choix éducatifs.
- L'économie. Les choix d'investissement d'un état influence les moyens éducatifs, mais aussi la place de l'enfant qui prend plus d'importance économique, comme au 18ième siècle, car il va hériter des biens familiaux
- Les sciences et les techniques, comme la médecine et les soins apportés aux enfants au travers l'hygiène, les connaissances en physiologie, qui ont permis une meilleure connaissance de la façon dont l'élève fonctionne. Les neurosciences actuellement. La découverte de la lampe à pétrole qui a permis aux enfants de travailler le soir...sans oublier l’imprimerie, l’informatique…
Je vais vous raconter ma propre histoire, c’est-à-dire celle d’une pédagogue, dans sa rencontre avec l’histoire ! Partage impressionniste et non pas de la part d'une historienne « pure » et « dure ». Je cherchais un sujet de thèse.
En allant à un cours d’histoire de l’éducation j’ai assisté à un exposé sur Pauline Kergomard, la créatrice des écoles maternelle. J’en avais entendu parlé à l'époque où j’ai fait mes études de jardinière d’enfants, comme étant une pédagogue intéressante, mais il y avait un certain conflit, entre les ministères : le Social et l’Education nationale, à cette époque, c’est à dire entre les Jardins d’enfants et les écoles maternelles. Nous sommes en pleine influence de la politique.
J’étais curieuse de découvrir cette femme et d’entendre à quel point elle était en correspondance avec les idées des pédagogues que j’avais découvert durant mes études de jardinière d’enfants. Surtout je me suis demandé comment ces idées pouvaient être perçues par son public, à savoir les directrices de maternelles qui avaient aux environs de 100 enfants par classe et souvent avec peu de formation… Nous sommes en pleine pédagogie.
Voici ce que j’ai découvert en abordant l’histoire :
J’ai découvert le « présentisme » contre lequel nous gardent les historiens, c’est-à-dire la tendance que l’on a d’interpréter des idées d’une époque avec les critères de la nôtre propre. C’est à éviter ! Faire une démarche mentale d’adaptation pour comprendre en fonction du contexte est intéressant pour un éducateur. Ce dernier découvre une autre façon de penser en rapport avec le contexte, il doit s’adapter à un autre langage, le décrypter.
Découvrir un texte d’auteur c’est aussi découvrir une forme de pensée, une forme d’expression différente de la nôtre et essayer de la comprendre en relativisant au contexte. Il s’agit d’aller voir derrière ce qui est dit. Par exemple, lorsqu’on découvre l’Emile, ou de l’éducation de Jean Jacques Rousseau , il est important de se poser la question : que veut-il dire par là ?
En plus, j’’ai hérité d’un cours qui s’appelait « Epistémologie des pédagogies » : la science des sciences, qui commençe par l’histoire. Le travail sur des textes que les étudiantes ont fait durant mes cours dévoilait de leur part un intérêt, une curiosité pour découvrir comment pouvait-on penser ainsi à cette époque ? N’est-ce pas ce que l’on fait pour comprendre le comportement d’un enfant ? C’est pourquoi je pense qu’histoire et pédagogie vont ensemble.
Seconde découverte : les filiations:
- Descendante :
Par contre il y a évidemment des différences.[1]
Il y a entre autre une différence au niveau du langage, celui de P. Kergomard étant tout particulièrement plus poétique, c’est le langage d’une mère. N’a-t-elle pas donné le nom de « maternelle » à l’école pour les petits ?
… Mes histoires se passeraient dans des jardins plus beaux encore que nature, si l'on pouvait rêver quelque chose de plus admirable que les perles liquides du ruisseau qui le rafraîchit, de plus ravissant que les roses veloutées qui le parent, de plus gracieux que les papillons qui entrent dans le calice des fleurs, de plus élégant et de plus superbe que le grand arbre sous lequel l'enfant, plus séduisant encore que tout cela, la perle de cette belle nature, joue à l'abri d'un brillant soleil.[2]
- Filiation ascendante:
Nous sommes là dans la continuité.
Maintenant je vais vous poser une question: Qui aurait pu écrire ce texte ?
- « C'est un devoir pour le maitre d'étudier ses élèves, de connaitre leurs talents, leurs qualités intellectuelles, afin de les diriger plus surement dans le choix d'une vocation.
- Il faut éviter le surmenage et verser la science goutte à goutte. Je connais trop aussi la portée de chaque âge pour vouloir qu'on tourmente d'abord un enfant, et qu'on lui demande plus qu'il ne peut.
- Chaque enfant sera traité selon son caractère et tous avec une grande bonté...Les châtiments corporels seront rigoureusement bannis de l'école... Je veux qu'on le prie, qu'on le loue, qu'on le caresse, et qu'il soit toujours bien aise d'avoir appris ce que l'on veut qu'il sache.
- Faites jouer les enfants; le moment du jeu est très favorable pour les observer et les connaitre. »
Ce sont elles que l'enfant entendra d'abord, ce sont elles dont il essayera d'imiter et de reproduire les paroles ; et naturellement les impressions que nous recevons dans le premier âge sont les plus profondes.
Ainsi un vase conserve toujours l'odeur dont il a été imbu étant neuf, et la laine, une fois teinte, ne recouvre jamais sa blancheur primitive.
Mais ce sont surtout les mauvaises impressions qui laissent les traces les plus durables. Le bien se change aisément en mal : mais quand vient-on à bout de changer le mal en bien ? Que l'enfant ne s'accoutume donc pas, si jeune qu'il soit, à un langage qu'il lui faudra désapprendre".
Ces idées viennent de: Quintilien ; 1er siècle de notre ère, pédagogue romain en Espagne,
Quelles sont nos impressions devant la « nouveauté » des idées de cette phrase ? :
- Il est en avance !
- En avance par rapport à nous ? Serions-nous une référence ? Savons-nous tout sur l’enfant et ce qu’il faut faire ?
Un peu d’humilité !
- Mais alors on n’avance pas ! On fait du sur place ?
- oui !
Si on donne toujours les mêmes conseils c’est qu’il faut lutter toujours contre la même chose…
Pourquoi ? Un malentendu est à la base de l’éducation, à savoir un rapport de force.
D’un côté :
-La société qui désire continuer, c’est-à-dire transmettre. On appelle cela le désire de pérennité, la première démarche de l’amour d’après Socrate. Une démarche généreuse, mais qui est intéressée. Alors on met les enfants dans « des boites » et on leur dit de rester assis et d’écouter
- et l’enfant lui, qui a à se construire avec ses propres forces, pas avec celle des autres. Ce n’est pas avec les sens d’autrui que l’on fait ses expériences nous dit Comenius. Il a à découvrir son propre chemin.
Mais ce n’est pas facile car l’enfant est un étranger pour l'adulte, malgré tous les livres de psycho que l’on a écrit.
Le problème est que pour être bon pédagogue, cela demande une conversion. Conversion que personne d’autre que chacun d’entre nous peut faire. J’emploie ce terme volontairement car c’est un changement qui vient non seulement de l’intelligence, mais aussi du cœur et de l’expérience. De « La tête, le cœur, la main » pour reprendre une expression de Pestalozzi. Et en plus ce n’est jamais fini. Cela se renouvelle à chaque génération.
Car c’est le chemin qui compte et non le but C’est l’évolution, la vie de la pédagogie qui compte et non un aboutissement illusoire.
Quelques gains et pertes en histoire de l’éducation :
Du global au « prêt à consommer » : lorsque j’ai découvert que l’enseignement des druides, en Gaule, se partageait en : la connaissance des astres, de la nature et le droit et qu’ils avaient autorité sur la justice, j’ai réalisé que la spécialisation comme nous l’entendons aujourd’hui n’existait pas. En l’occurrence l’ordre cosmique et ordre social étaient dans les mêmes mains. Il y avait cohérence !
Plus tard, au Moyen Âge dans les gymnastes l’enseignement était aussi regroupé !
- Les études littéraires avec le trivium: grammaire, rhétorique, dialectique; c'est à dire l'organisation de la pensée et de la méthode, C’est l’art du bien parler et bien écrire. Les sciences du verbe.
- Les études scientifiques avec le quadrivium : l’arithmétique, la musique, la géométrie, l’astronomie, c'est à dire l'homme et sa relation avec le cosmos. C’est une initiation à la pensée scientifique nécessaire pour aller à l’université.
A l’université, entre autre...
-La philosophie pratique avec la morale, l’économie, la politique. Avaient été regroupés avec une certains sagesse…
Plus tard au 18eme siècle on trouve des célébrités comme Beaumarchais, qui était à la fois, créateur de pièce de théâtre, trafiquant d’armes, espion pour Louis XV, Horloger…et qui n’hésitait donc pas à avoir plusieurs compétences. J. J. Rousseau aussi avait plusieurs métiers.
C’est le 18eme siècle qui a classé. On a classé les animaux, les plantes, les mots, les gens… (avec le Dr Pinel de l’hôpital de la Salpêtrière, qui a différencié les malades mentaux.)
Et nous, nous avons été à l’école avec la succession des disciplines…
Les pédagogues, précédés par J.J. Rousseau, en réaction à ce classement ont inventé, l’Idée centrale, (F. Fröbel), la Leçon de choses, (Marie Pape Carpantier), les Centres d’intérêts (O. Decroly) où l’on part d’un thème global et les enfants peu à peu extraient les différentes données qui le composent. Ils font des comparaisons, des associations : ils réfléchissent.
De l’apprentissage sur son lieu d’existence à l’école obligatoire.
Avant la conquête de Rome, il n’y avait pas d’école, ensuite les petites écoles paroissiales ou municipales, les gymnases (anciens lycées) , les universités se sont créés. Mais pour ceux qui n’allaient pas à l’école le reste de l’apprentissage de la vie se faisait dans le milieu où l’on était né.
Chez les artisans l’enfant et le jeune apprenait avec son maitre, avec des étapes bien planifiées.
Dans le milieu rural on apprenait à observer la nature et à en vivre,
Dans les châteaux il y avait la formation du chevalier, qui commençait pas apprendre les histoires et les légendes, à chasser au faucon, la lutte, et se terminait pas l’adoubement.
"On a perdu la mémoire" : Au Moyen Age lorsqu’on lisait un texte, on le savait par cœur, on apprenant quelque fois avant de comprendre.
Après on a cherché à comprendre, à synthétiser, sans chercher à se souvenir. Peu à peu avec l’invention de l’imprimerie et la disparition de la transmission orale, on a donné moins d’importance à la mémoire.
Nous sommes passés du cœur pour donner la place à la raison
Pendant longtemps savoir et aimer étaient faisaient partie de la même démarche. Peu à peu le raisonnement a pris la place. Alors que l’émotion est toujours là. Mais elle n’est pas reconnue, sauf très récemment où l’on redécouvre l’importance de sa place dans l’apprentissage.
Mais on ne peut dissocier l’enseignement de l’enseignant. L’enfant a besoin d’un témoin qui aime ce qu’il fait.
Pour terminer je rappel cette phrase de Socrate : Comment veux-tu que je lui apprenne quelque chose : il ne m’aime pas !
[1] voir l’article dans Le Portique : https://leportique.revues.org/892, Moussy, B., Entre Pauline Kergomard et Maria Montessori
[2] [2] Pauline Kergomard « l’éducation maternelle dans l’école » Nathan, 1975 page 28