"Au contraire de la manière qu'emploient la plupart des pédagogues et que je voyais imposer indifféremment à Monseigneur le dauphin, aux petits d'Heudicourt, ou aux fils des bourgeois de Fontainebleau, je posai en règle qu'il n'y a point de règle en éducation, qu'il ne faut jamais s'y hâter de conclure mais observer d'abord longuement l'humeur et la capacité de chaque enfant et se conduire ensuite selon le naturel de chacun.
L'éducation est une longue patience, où ce qui ne vient pas tôt peut venir tard, mais il n 'y a pas de mauvais naturel quand on sait s'y prendre et qu'on s'y prend de bonne heure; tout au plus sème-t-on parfois ce que d'autres récolteront... Même sur ce qui regarde le savoir, il me semble qu'il est inutile de se presser; les enfants ne veulent pas être contraints et il est souvent funeste de forcer leur esprit en s'opiniâtrant à les rendre des merveilles avant le temps; le dauphin, entre les coups de baguette de Monsieur de Montauzier et les longues leçons quotidiennes de Bossuet, avait appris à six ans un millier de vers latins mais il disait que, lorsqu'il serait son maître, il n'ouvrirait jamais un livre, et il se tint fort bien parole dans la suite. Aussi ne voulais-je point assommer mon petit duc de verbes grecs mais développer peu à peu sa capacité de raisonnement et lui communiquer, par l'exemple et sans contrainte, le goût de la lecture; avec cela, lui inspirer un désir ardent d'être estimé, qui lui demeurerait toujours et serait meilleur que tout le latin de ses professeurs. Je ne voulais point non plus, dans l'éducation de mes enfants, de cette sévérité qui plaisait aux Mortemart. Une éducation triste n'est qu'une triste éducation. Il y faut, ce me semble, des récréations, des rires, des débandements d'esprit. Avec moi, les leçons étaient toujours coupées de courses, de parties de cartes et de dés, de visites à la ménagerie ou au potager; je m'avisai qu'on peut faire un jeu de tous les apprentissages et, de la même façon que j'écrivis plus tard pour Saint-Cyr des « conversations » et des « proverbes » afin d'enseigner gaiement le vocabulaire et la morale, j'inventai, pour le duc du Maine et ses soeurs, de petits jeux d'esprit qui, sans qu'ils s'en doutassent, leur apprenaient fort bien l'arithmétique et la grammaire; mais ces jeux-là eux-mêmes n'avaient rien d'uniforme et étaient différents selon l'humeur et le goût de chacun des enfants. Je tenais deux principes seulement pour absolus et applicables à tous: qu'il faut de la douceur dans le gouvernement des petits et de la raison en tout. Je tiens qu'on doit parler à un enfant de sept ans aussi raisonnablement qu'à un homme de vingt. Il est aisé de soulager l'obéissance en rendant raison de tout ce qu'on refuse et de tout ce qu'on exige, surtout si on ne fait jamais d'histoires ni de peurs inutiles mais qu'on donne le vrai comme vrai et le faux comme faux; qu'on ne promet rien qu'on ne tienne, soit récompense, soit châtiment; qu'on épuise enfin toujours toute la raison avant que d'en venir à la rigueur. S'il faut être ferme, en effet, dans la fin où l'on veut aller, il convient de rester très douce dans les moyens dont on se sert ; pour cela, sûrement, il ne faut pas voir toutes les fautes. C'est une enfances1 de croire qu'il ne faut laisser aucune faute impunie : c'est selon la faute, selon l'enfant, selon le moment. Pour moi, j'ai toujours fait en sorte de ne pas tout voir ni tout entendre; sinon, les pénitences deviendraient communes et ne feraient plus d'impression. Au demeurant, il faut savoir qu'il y a des jours malheureux où les enfants sont dans une émotion ou un dérangement tels que toutes les remontrances, toutes les réprimandes ne les remettraient pas dans l'ordre; il convient alors de couler cela le plus doucement que l'on peut et de n'y point commettre son autorité. Il y a aussi des enfants si emportés et qui ont des passions si vives que, quand une fois ils sont fâchés, vous leur donneriez dix fois le fouet de suite que vous ne les mèneriez pas à votre but; ils sont dans ce temps-là incapables de raison et le châtiment est inutile. Il faut leur laisser le temps de se calmer et se calmer soi-même, mais, afin qu'ils ne puissent croire que vous vous rendez et que par leur opiniâtreté ils sont devenus les plus forts, il convient d'user d'adresse pour les tirer hors de votre vue. " 1Unepuérilité Correspondance de madame de Maintenon (1876) ; Chandernagor F.; "L'allée du roi"; p. 323; France loisirs; Paris; 1981 Presque un siècle avant l''Émile ou de l'éducation" de Jean Jacques Rousseau, Fr. de Maintenon va parler de l'observation de chacun, de l'importance du jeu dans l'enseignement. Avant J. Korczak elle va proposer de ne pas voir tous les défauts (voir "Les droits de l'enfant") |