TEXTE SUR La PÉDAGOGIE,
DE F. GARCIN
Article trouvé par hasard et tellement actuel dans la Revue:
« L'éducation enfantine » F. Nathan. 1912 Garcin est un Inspecteur primaire, La meilleure méthode "Le monde pédagogique connaît de nombreuses méthodes. Notre époque le dote même en ces sortes de bien d'une richesse si prospère qu'on peut lui adresser des louanges méritées. Un peu partout naissent des groupes d'études psychologiques ou pédagogiques qui fouillent, expérimentent et cherchent à écarter les ténèbres qui enveloppent les lois du développement mental. On en rencontre même qui découvrent ce que d'autres ont découvert depuis plusieurs années! Cela tient à ce que le gros bon sens de Rabelais et la claire philosophie de Montaigne le raisonnement de Fénelon ou l'argumentation de Rousseau font pâle figure devant les clartés de l'expérience scientifique. C'est qu'aujourd'hui on ne peut plus se contenter des maîtres qui aiment les enfant et leur parlent avec un âme qui captive et entraîne les autres âmes, il faut des maîtres qui pèsent, scrutent, mesurent, contrôlent, qui considèrent que la volonté d'étude est soumise au charme qui se dégage de la matière, et placent le pouvoir de l'instrument au niveau du pouvoir de l'idée. Aussi dès qu'un éducateur a imaginé un matériel nouveau, un instrument inédit, une manière d'action personnelle, il crée sa méthode. Voilà une méthode de plus sous le soleil, toujours supérieure évidemment à celle du voisin. C'est en vertu de ce principe que Froebel connut tant de grandeur, que les mérites montessoriens ont démoli les mérites frœbéliens et que les éditeurs proclament soit le triomphe de Mlle Mulot, soit celui du docteur Decroly. Un de ces jours percera une nouvelle méthode à laquelle la fortune qui suit la nouveauté fera une renommée capable de pâlir l'étoile de ces doctes devancières. Pour nous préserver de tout emballement, qui peut être une simple injustice, il nous semble utile de chercher à quels signes on peut reconnaître la meilleure méthode. Or ces signes sont loin de se manifester avec netteté. En étudiant l'oeuvre des créateurs de méthode, nous aboutissons toujours aux lois fondamentales qui gouvernent le développement mental et psychologique de l'être humain. Ces lois sont mises au jour par les travaux de laboratoires, affirmées et précisées par l'expérience. L'auteur d'une méthode ne peut que s'établir sur la base solide de leur connaissance. S'il méconnaît ces lois, il les transgresse, n'hésitez pas à rejeter son oeuvre. Mais s'il les respecte, sa méthode ne peut constituer que dans la mise en oeuvre d'un ensemble de moyens personnels permettant l'application de ces lois. La méthode est un mode d'action gouverné par un principe et conforme à la tournure d'esprit, à la puissance particulière de celui qui l'emploie- Il y a des différences spirituelles et potentielles entre les éducateurs et telle méthode qui réussit avec l'un ne vaut rien avec l'autre. Froebel animait sa boule et ses cubes avec sa propre vie, Mme Montessori donnait son âme à sa tour rose, Mlle Mulot illumine de sa foi son bonhomme carré et Decroly a obtenu des résultats avec une méthode qui répond à sa vision mais qui ne dira rien à un autre éducateur imbu des mêmes principes. Leurs imitateurs n'obtiendront jamais les mêmes résultats. Entre ces méthodes pas ou très peu de différences de principe. Toutes se réclament de la liberté et de la spontanéité de l'enfant. Il paraît dès lors qu'on pourrait les fondre en une méthode unique réunissant tous les perfectionnements que chacune d'elles présente. Déduction fausse parce qu'elle ne tient pas compte d'un élément majeur du problème: le potentiel de l'éducateur. On ne rencontrera jamais un éducateur, quelle que soit sa valeur, qui voudra se soumettre au joug d'une méthode unitaire. C'est la résistance instinctive aux moyens et aux méthodes des autres qui rendent l'éducateur, même le plus faible, mal disposé à écouter les avis pédagogiques. Plus un éducateur est vigoureux, plus il se passionne à sa tâche plus il fusionne sa vie avec celle de son oeuvre, plus il rejette les méthodes étrangères. Il veut sa méthode à lui, il n'y a guère qu'avec la sienne qu'il recueille des satisfactions. Le principe de la méthode est un, mais la méthode est personnelle. L'éducation est un art que l'on ne peut pratiquer sans méthode, c'est entendu, mais on ne fait pas de l'art, sans un artiste. La meilleure méthode n'est donc pas celle qu'on m'offre, c'est celle qui s'accorde avec ma vision d'artiste, c'est celle avec laquelle je peux donner aux enfants tout ce que j'ai de foi et d'amour, tout le trésor de puissance que ma nature recèle sans transgresser les lois de la nature. Est-ce à dire qu'il ne reste plus qu'à rejeter ou à ignorer les méthodes créées par ces pédagogues qui méritent que nous les appelions nos maîtres ? Gardons nous d'une suffisance qui serait une pure ineptie. Ne rejetons rien, n'ignorons rien. Commerçons avec les éducateurs d'élite, assimilons nous leurs moyens, approchons nous de leur âme, digérons leur propre pensée. Il est loyal et juste de rendre hommage à la noblesse de leur travail. Quelle que soit notre valeur personnelle nous élargissons toujours notre horizon au contact des chercheurs qui nous ont ouvert la voie. Inspirons-nous de la profondeur de leur esprit, abreuvons notre esprit créateur et libre à la source de leur génie, et puissants par l'effort de leur propre force, nous nous ferons notre méthode qui sera la meilleure parce qu'elle sera la nôtre". |