Je visite une ludothèque, le royaume magique du jeu pour les enfants. On vient ici non seulement pour jouer mais aussi pour emprunter des jeux pour petits et grands. Un patio très clair nous accueille. Différentes salles offrent aux parents et enfants des activités diverses, elles sont agencées en conséquence. Il y a de quoi choisir : veut-on jouer ? Une maman veut-elle se reposer ? Veut-on écouter une histoire ? Des jeux individuels ou en groupe sont présentés. Des éducatrices sont à l’écoute des demandes et font des propositions en conséquence. C’est comme un paradis pour les enfants et les parents où chacun se sent chez lui. C’est encore mieux pour ceux qui n’ont pas de logement suffisamment bien agencé pour jouer. Je suis impressionnée par les nombreuses gravures accrochées aux murs des salles ou des couloirs. Elles sont gracieuses, drôles, colorées et simples. Ce sont soit des animaux stylisés, soit des enfants en train de jouer. Dessins et photos sont dynamiques et veulent apporter de la joie. Quelque fois ils sont comiques et je devine le plaisir de l’adulte qui les a créés et même de celui qui les a posées. C’est plaisant à regarder. Nous sommes chez les enfants, c’est leur maison. On a veillé à ce que chacun ait un environnement à sa portée. J’ai l’impression qu’il manque quelque chose…Pourquoi n’y a t-il que des illustrations pour enfant et pourquoi pas d’autres images plus ouvertes sur le monde de l’art, également appréciées par les adultes ? Ce lieu a été créé seulement en fonction de ce que les adultes pensent de la faculté de perception des enfants. Mais qu’en savons-nous vraiment ? C’est comme s’ils ils ne pouvaient pas s’ouvrir à des sensations autres que celles offertes par des illustrations dites « pour enfants ». Ne sommes nous pas en train de les enfermer dans ce que nous pensons convenir ? En les observant, nous sommes parfois étonnés devant ce qu’ils peuvent percevoir, aimer et apprécier. Il est dommage de leur laisser ignorer les oeuvres que les peintres, depuis des siècles, nous ont offertes. Même si la perception du monde des artistes n’est pas formelle et obéit à des règles qui peuvent nous échapper. Pourquoi faire de la rétention d’art pour les petits ? Arrêtons-nous devant des tableaux. Je me souviens d’une visite, dans jardin d’enfant d’une école s’inspirant des idées de Rudolf Steiner[1]. J’y ai été surprise de voir une représentation d’Andreï Roublev [2] : La Trinité. Ce sont trois anges adultes autour d’une table centrale. Les couleurs sont tendres, les anges ont quelque chose de léger, en même temps recentrés autour de la table. Ce tableau donnait une impression d’équilibre que les enfants pouvaient ressentir. L’éducatrice m’a expliqué que c’était devant cette gravure que les enfants se réunissaient le matin pour commencer la journée. Un peu comme ces anges réunis. Je trouvais à ce moment là cette représentation bien sérieuse. Mais cela m’a ouvert les yeux. Les petits peuvent profiter des beautés que les adultes apprécient. Mieux encore, ils peuvent choisir et comprendre autrement que nous mêmes. Cela peut ne pas leur plaire comme pour nous. Qu’importe ! Leur sensibilité est touchée. Choisir le tableau est le premier acte important. Tout comme la préparation d’un cadeau fait partie du cadeau lui-même et lui donne de la valeur. Je pense par exemple à une belle maternité, celle de Pablo Picasso ou celles d’Auguste Renoir. Sa contemporaine Berthe Morisot a également représenté une jolie femme qui regarde son bébé au berceau. J’aimerais que les enfants puissent regarder ces mères et leurs petits avec leur propre mère. Une identification les emporterait au-delà d’eux-mêmes. Ils partageraient un souvenir qui s’ancrerait dans leur histoire. Il y a aussi tout ce qu’ils peuvent percevoir devant le tableau d’un impressionniste. Sensibles au jeu des couleurs, à leur mélange, à leurs teintes et leurs déclinaisons, à leur joie. Cet ensemble pourrait les inspirer. Et bien d’autres tableaux encore. La question est : qu’aimons-nous et qui nous paraitrait intéressant de montrer à l’enfant ? Juste montrer. Comme ça ! Sans plus. Sans plus ? Pas vraiment car ce tableau aura une histoire, un auteur et ses intentions. Pourquoi celui-ci ? Où et quand ? Le partage se fera ou pas, lorsque l’enfant sera prêt. Il réagira à sa manière et non pas comme nous l’attendons. Il pourra être indifférent, ne retenir qu’un petit détail, lui donner une autre interprétation, l’enregistrer et s’en souvenir plus tard. Ce sera son affaire, comme nous désirons que ce soit la nôtre lorsque nous découvrons une oeuvre. La façon de le voir est une réinvention, puisque notre regard est chargé de nos expériences, uniques, rejouée à chaque confrontation par une création. [1] Pédagogue autrichien 1861-1925 [2] Andreï Roublev ou saint André l'Iconographe est un moine et peintre d'icônes russe du XVe siècle. |
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Janvier 2024
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